L'éloge de la Bretagne par un Léonard

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Traduction réalisée par AlbinusTraduction réalisée par Eric Daoudal
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Au seuil de son édition du Catholicon (31 janvier 1531), Yvon Quillévéré, libraire-éditeur, a placé un éloge de la Bretagne.

Son éloge est en latin (voir la reproduction plus bas). Le voici traduit en français.

La patrie repose sur les meilleurs des fondements. Socrate, ce père de la philosophie, le disait : la patrie subsistera toujours solidement si elle fait preuve de sagesse, de virilité, de modération, de justice. Ce sont là, assurément, de grandes et nobles vertus. Encore qu'elles soient au principe de la vie humaine tout entière, elles sont, cependant, singulièrement nécessaires pour bien régir une communauté : sans leur assistance, la patrie serait perdue, n'étant ni assez bien défendue, ni en sûreté.

Mais que demande la raison ? Qu'a‑t‑elle en vue, si ce n'est la mise en œuvre et l'exercice de la vertu ? C'est ainsi qu'elle conseille à la patrie, qu'elle lui enseigne, qu'elle lui commande de pratiquer la sagesse, la prudence et aussi l'équité, la grandeur d'âme, la pudeur, la modération, la probité.

Qui pourrait ignorer que la Bretagne brille par son sens de la mesure, qui impose sa loi dominatrice ? Qui, de la sorte, ne ferait l'éloge de la Bretagne ? Qui ne la célèbrerait ? Qui ne l'admirerait entre toutes ? En Bretagne, les limites de toutes choses sont bien déterminées. Toute la vie y est, en outre, soumise à l'ordre et à la mesure : tout ce qui s'y dit ou tout ce qui s'y fait correspond à une juste appréciation. Si je voulais poursuivre par l'éloge de sa constance, de sa noblesse, de sa gravité et de toutes ses autres vertus, si nombreuses et qui surpassent tout, je ne le pourrais ; le temps même me manquerait pour les mentionner toutes. Aussi, je passe sous silence la clémence de son ciel, la salubrité de son air, la richesse de son sol, la fertilité de ses champs, sa situation favorable, l'avantage qu'elle tire de ses récoltes, la variété de ses revenus, l'abondance prodigieuse de ses denrées si diverses, la grande quantité de ses céréales, la possession du meilleur bétail, des troupeaux en grand nombre, la fertilité de ses pâturages, les excellents fourrages de ses grasses prairies sur les hauteurs et dans les vallons verdoyants.

Qu'est‑il besoin de parler en longueur, maintenant, de la puissance très étendue de la Bretagne ? Sur terre et sur mer, la Bretagne impose sa maîtrise : beaucoup de places‑fortes, des châteaux‑forts en grand nombre ; des peuples, et non les plus obscurs, sont à son service ; des villes célèbres aussi sont soumises à son pouvoir. En outre, une région côtière très fertile, tout le pays ceinturé par les rivages de la mer océane. Elle est en quelque sorte le grenier à blé de ses voisins. Elle exporte aussi par mer beaucoup de denrées de première nécessité, à partir surtout du port renommé de l'Aber‑Wrac'h (Abrevetulae portus). Elle en fournit même à des peuples étrangers et lointains. De cette façon, les hommes peuvent s'entraider, entretenir leurs cités et contribuer à la sauvegarde de la vie.

Assurément, ce sont les sages que l'on estime communément dignes d'être à la tête de l'Etat, d'exercer les magistratures, d'être préposés au gouvernement des peuples. Ce sont les pasteurs, en effet, qui conduisent les autres, comme le dit si bien Homère qui a coutume d'appeler Agamemnon le pâtre des peuples. En nos siècles, les hommes ensemble prospèrent dans notre Etat remarquable et parfaitement organisé; ils brillent du même éclat que jadis Lacédémone, si prestigieuse de gloire militaire, que Rome, éblouissante par son empire et ses immenses richesses. C'est l'Etat, dis‑je, le premier dans lequel règne, de l'avis à peu près général, une liberté d'or.

Tels sont ceux qui, maintenant, gouvernent ces hommes parés de modération, d'intégrité et pleins de zèle pour l'Etat et d'amour pour la patrie. Tels, aussi, les magistrats, à qui nos dieux Pénates accordent leurs faveurs dans la remarquable tenue des assemblées. Qu'ainsi, vertueux eux‑mêmes à l'extrême, entraînés par l'exemple, ils maintiennent la patrie, lui viennent en aide et contribuent à l'étendre. Par leur influence et sous leur égide que la patrie soit bien telle, avec l'empire des mers, avec une renommée qui atteigne les astres, pour l'honneur du Prince éternel et pour la gloire et la tranquillité de ce peuple très puissant.